Le premier court métrage de Nancy Pettinicchio, Falena, réussit à saisir ce sentiment étrange — parfois teinté de mélancolie — qui accompagne la fin de l’été lorsqu’on est jeune. On y suit Leila (Nahéma Ricci), une jeune femme sur le point de quitter sa banlieue natale, laissant derrière elle sa meilleure amie Cassy (Chanel Mings). Un après-midi, elle se rend dans une vente-débarras chez Annette (Nathalie Gascon), une femme plus âgée dont Leila trouve une photo nue de celle-ci parmi les objets à vendre.
Cette découverte amène Leila à explorer la photographie — et le portrait de nu — par elle-même, et l’incite à passer plus de temps avec Annette avant son départ, ce qui complique les choses avec Cassy.
« Pour moi, la relation entre Leila et Cassy était l’aspect le plus délicat du film », dit Pettinicchio. « Je voulais explorer le caractère ambigu de l’intimité dans les relations symbiotiques au début de l’âge adulte, notamment chez les jeunes femmes et les personnes queer. Leila et Cassy sont meilleures amies, mais selon ce que j’ai vécu, il y a quelque chose de sentimental qui entre en jeu dans une amitié de longue date : vouloir vivre de nouvelles expériences ensemble, se voir grandir mutuellement, faire partie de chaque étape importante dans la vie de l’autre. Je pense que ma relation avec ma meilleure amie lorsque j’étais jeune est l’un des amours les plus forts que je vivrai dans ma vie. »
« À un moment donné, lorsqu’on atteint un âge où l’on veut vivre de nouvelles choses — dans le cas de Leila, quitter la banlieue, loin de la maison familiale — nos objectifs ne cadrent pas toujours avec ceux de nos amis. Et parfois, c’est l’un des premiers moments où nos chemins se séparent : c’est un aspect attendu, bien qu’émotif, du passage à l’âge adulte, et ça ressemble en quelque sorte à une rupture amoureuse qu’on fait semblant d’ignorer. Il y a un sentiment d’abandon du côté de Cassy; elle a l’impression qu’elle ne suffit plus à Leila. Et, bien entendu, l’entichement de Leila pour Annette ne fait qu’exacerber l’insécurité de Cassy. Certes, la jalousie est en jeu ici, mais il est difficile de savoir si elle découle de l’amitié ou d’un sentiment amoureux. Je ne suis pas certaine que Cassy soit même capable de faire la distinction pour elle-même. Je sais que j’en étais incapable à cette époque de ma vie. C’est seulement lors du tournage du film que j’ai vraiment mis le doigt sur la façon dont je jouais avec cette ambiguïté romantique. Quelques jours après la fin du tournage, j’ai révélé être queer, et les choses ont soudainement eu beaucoup plus de sens pour moi — par rapport aux personnages du film comme à ma propre identité. »
Je voulais explorer le caractère ambigu de l’intimité dans les relations symbiotiques au début de l’âge adulte, notamment chez les jeunes femmes et les personnes queer.
Dans Falena, la fin de l’été en banlieue rappelle le film sur le passage adulte de 2014 de Stéphane Lafleur, Tu dors Nicole, que Pettinicchio décrit comme étant une influence (et son film préféré).
« Tu dors Nicole a cette façon de présenter l’été en banlieue au début de l’âge adulte comme une période de sa vie où l’on se sent désœuvré », dit-elle. « Vous avez plein d’idées et d’ambitions pour ce qui s’en vient, mais rien ne se passe vraiment comme prévu… J’ai écrit le premier traitement du scénario du film le soir où je me suis installée dans mon premier appartement à Montréal en octobre 2017. Je voulais explorer quelque chose de personnel, et j’étais au beau milieu de cette transition que je vivais entre mon été en banlieue et ma nouvelle indépendance en ville. Déménager fut la première étape vers la découverte de ma propre identité, une étape que je désirais franchir ardemment depuis des années. »
Leila passe ces moments de l’été qui s’achève avec Cassy, se promenant à vélo, allant au carnaval, et essayant de jouer à la Nintendo 64. Mais son esprit est visiblement ailleurs : elle pense à Annette, à ce que lui réserve la vie, et à la perception qu’elle a d’elle-même. Dans Falena, le thème de la réflexion est exploité au propre comme au figuré.
« Je voulais qu’elle [Leila] se regarde elle-même avec curiosité et non en se jugeant », explique Pettinicchio. « Lorsqu’elle commence à explorer la photographie, et plus particulièrement l’autoportrait, elle découvre cet outil qui lui permet de sonder son identité. Leila se voit à travers sa propre lentille; elle a le contrôle de sa propre image, et elle joue avec l’autoreprésentation. Et d’une certaine façon, je joue aussi avec l’autoreprésentation. Dans les films sur le passage à l’âge adulte, il est typique pour les jeunes femmes de ne pas aimer ce qu’elles voient dans le miroir — je ne voulais vraiment pas que ce soit le cas pour Leila. Lorsqu’elle découvre l’autoportrait d’une jeune Annette nue à la vente-débarras, elle n’y voit rien de sexuel ou de scandaleux. Je vois la nudité comme un moyen pour Leila de faire face à elle-même de la façon la plus intime possible, peu importe à quel point cela est intimidant. »
« Tout au long du film, Leila se détache de tout ce qu’elle laissera derrière elle en déménageant : sa chambre, son quartier, sa meilleure amie et tous les rituels qu’elles ont créés et pratiqués ensemble pendant des années », ajoute-t-elle. « La photographie est le moyen qui lui permet de saisir un moment dans le temps, et sa façon de se représenter pendant ce moment dans le temps. La photo d’Annette est un rappel du passé, un regard sur la personne qu’elle était à l’âge de Leila… Elle inspire Leila à essayer de découvrir qui elle est aujourd’hui, et comment une photographie pourrait représenter cela dans le futur. Lorsqu’elle appuie enfin sur le déclencheur pour prendre son autoportrait avant de quitter sa chambre le jour du déménagement, c’est comme si elle pouvait enfin aller de l’avant et tourner ce chapitre de sa vie, pour commencer un processus d’auto-exploration qui pourrait l’emmener bientôt à capter une version très différente d’elle-même. »
Lorsque Leila est enfin prête à partir et qu’elle fait ses aurevoirs à Cassy, Pettinicchio nous laisse sur un dernier plan quelque peu désarmant : nous voyons, sur la banquette arrière de la voiture de Leila, toutes les choses qu’elle emporte avec elle. Et lorsqu’elle se met en route, à travers la lunette arrière, nous voyons la vie qu’elle laisse derrière elle.
« Initialement, le scénario comprenait une scène finale où Leila transporte les boîtes dans son appartement en ville et s’assoit dans l’escalier à l’extérieur pour prendre le pouls de son nouveau quartier », dit la réalisatrice. « Bien que nous ayons tourné cette scène, elle n’avait pas sa place dans le film. En fin de compte, j’ai décidé que je ne voulais pas qu’on nous sorte de la banlieue. Le plan final, où nous regardons à travers la lunette arrière de la voiture de Leila, offre l’occasion d’imaginer d’innombrables possibilités pour l’avenir de Leila à l’extérieur de sa ville natale. Je ne pense pas que sa destination importe réellement : elle sait simplement qu’il est temps de partir. »
Falena fait partie des sept courts métrages du programme Talent tout court présenté au festival Clermont-Ferrand 2022. Le prochain projet de Pettinicchio, un balado documentaire actuellement en postproduction, met en scène des personnes qui parlent de leur relation avec leur corps, explorant les intersections entre cette relation et diverses facettes de l’identité à travers des changements ou des moments de transition. Elle est aussi en train de développer un autre court métrage de fiction qui sonde plus profondément le(s) thème(s) de l’amitié profonde et de la relation sentimentale.
JAKE HOWELL
Jake Howell est un scénariste et un programmateur de films indépendant de Toronto.